Je ne peux pas vous présenter mon visage parce qu'on a essayé d'attenter à ma vie dans mon pays.
Aujourd'hui, je suis réfugié en France et je ne peux pas m'exposer. Je viens d'un pays des Balkans où le crime organisé est très présent jusqu'au plus haut niveau du gouvernement. C'est une organisation bien en place avec beaucoup de moyens financiers et des réseaux partout en Europe. Ils pourraient me retrouver.
Dans mon pays, j'avais une très bonne situation. J'étais directeur financier. Je travaillais pour des grandes entreprises. Ma femme travaillait dans une banque. Du jour au lendemain, nous avons dû tout quitter, laisser nos parents, nos amis, notre maison, notre voiture, notre situation. C'est une série d'évènements étalés sur 10 ans qui nous a conduit à partir. Je ne suis pas parti sur un coup de tête, c'est juste que je n'avais plus le choix.
Mon papa était ingénieur au temps de la Yougoslavie. Il s'occupait de la distribution de produits textiles dans tout le pays pour le compte de grandes entreprises. Son affaire fonctionnait très bien et il a gagné beaucoup d'argent, ce qui lui a permis d'investir dans l'immobilier et notamment dans une grande maison située au centre de la ville où on habitait. Pendant la guerre, il a souhaité ne pas prendre parti et continuer à travailler avec l'ensemble des pays belligérants. Lorsque la guerre s'est terminée, les militaires ont accédé au pouvoir et ils ont commencé à donner des privilèges à ceux qui avaient participé à l'effort de guerre. Les militaires avaient le droit de s'accaparer à peu près n'importe quoi. Ceux qui avaient travaillé avec les «ennemis» étaient très mal vus, c'était le cas de mon papa.
Un jour, alors qu'il marchait dans la rue, deux motards casqués sont arrivés à son niveau et lui ont tiré dessus. Il a été touché à trois reprises. Miraculeusement, il s'en est sorti. Au départ, il n'a pas compris pourquoi il avait été la cible de cette tentative d'assassinat. Nous étions une famille calme et sans problème. Suite à cette affaire, la police n'a jamais retrouvé les auteurs. Pire, mon père, quelques années après, a demandé aux autorités d'avoir accès au dossier de son affaire. Il s'est rendu compte que tout le dossier avait disparu. Il n'y avait plus aucune preuve. L'enquête de police, ses dépositions, les relevés sur les lieux du crime, les photos, tout avait été effacé. Dans mon pays, la police est très liée au crime organisé ; elle n'est pas indépendante…
Il y a quelques années, des hommes masqués ont débarqué chez nous, alors que mon frère et moi n'étions pas à la maison. Ils ont menacé mon père, ma sœur et ma mère et leur ont demandé de quitter la ville. Ils les ont attachés et sont partis. Nous les avons retrouvés le lendemain matin, ligotés ; ils avaient passé toute la nuit comme ça. Nous avons appris plus tard que la mafia avait des vues sur l'immobilier du centre ville, et, notamment, sur notre maison. Elle est située en plein cœur de la ville, dans un quartier où les maisons valent très cher. Un des membres de la mafia avait déjà acheté une maison à proximité de la nôtre. Mais ils avaient besoin de cette maison, située au croisement de plusieurs rues passantes. Ils avaient le projet de construire un centre commercial à la place…
Quelque temps plus tard, alors que nous sortions de la maison avec ma femme, il y a eu une grande explosion. C'était ma voiture. Ils venaient de le faire exploser devant nous. Le plus terrible, c'est que nous habitions à 80 mètres du commissariat de police. Le premier policier n'est arrivé qu'au bout de 30 minutes… Nous n'étions vraiment plus en sécurité. Mon père lui, a décidé de rester parce qu'il a travaillé droit toute sa vie, et il ne veut pas plier face à ses menaces. Par contre, il a demandé à ses enfants de quitter le pays parce que nous sommes jeunes et que nous devons protéger notre famille.
Alors, nous avons tout quitté. J'ai payé un passeur 7000 € et nous sommes partis avec ma femme et mon fils. Nous avons d'abord quitté la région en voiture. Puis il a fallu passer la frontière à pied, illégalement. Nous avons marché 2 jours entiers à travers la montagne avec notre fils qui était petit et tous nos bagages. Puis nous avons repris une voiture. Les hommes qui nous accompagnaient étaient nerveux. Un jour nous nous sommes arrêtés dans une station-service pour nous restaurer. Eux étaient restés dans la voiture. Tout à coup, ils ont débarqué dans l'établissement en nous criant que la police arrivait. Nous sommes remontés en urgence dans la voiture. Au bout d'un moment nous nous sommes rendus compte qu'il nous manquait un sac. Dans la précipitation, nous l'avions oublié dans cette station-service ; il contenait tout notre argent, plus de 10000 €. Je ne sais pas si ces hommes l'ont fait exprès. Je sais qu'ils avaient repéré que ce sac contenait de l'argent. Dans tous les cas nous nous retrouvions à présent sans argent, projetés dans l'inconnu. Une fois arrivé en France ces hommes nous ont abandonné au bord de la route.
Nous étions perdus. J'ai essayé de parler en anglais avec des passants pour demander de l'aide mais personne ne comprenait. À un moment nous avons croisé une voiture de police. Les policiers n'avaient vraiment pas le temps. Alors ils nous ont indiqué qu'il y avait un refuge à 5 km de là. Nous sommes partis à pied. Une fois arrivés, c'était catastrophique : ce n'était pas un refuge, c'était un campement. Le camp de Blida. Les gens étaient dans des tentes à même le sol, dans la boue. On était au printemps mais il pleuvait beaucoup. J'avais de la boue jusqu'au mollet par endroit… L'hygiène était affreuse. Je ne pouvais pas rester là, mais je ne savais pas quoi faire. Quelques jours auparavant, j'étais dans mon pays, avec une bonne situation, et tout à coup je venais de conduire ma femme et mon fils dans la boue, sans plus rien. Nous sommes restés dans ce camp trois jours durant. J'ai rencontré deux personnes qui venaient apporter des vêtements. L'une d'entre elles, qui s'appelait Claude, nous a proposé de nous loger. Je ne l'oublierai jamais. Ensuite, j'appelais le 115 jour et nuit. Ils n'avaient pas de place en hébergement d'urgence. Et puis un jour une place nous a été accordée dans un hôtel. À ce moment, j'ai aussi fait la demande d'asile. Nous sommes restés 18 mois là-bas et puis nous avons été transférés à Mirecourt. La Vie Ensemble m'a beaucoup aidé. Pas seulement ma famille mais tous les étrangers. Il faut l'écrire ça. Ils aident sans regarder la nationalité, sans juger si les personnes sont bonnes ou mauvaises. Et ça jamais je ne l'oublierai. Aujourd'hui, la France m'a accordé la protection. Petit à petit je vais pouvoir m'établir ici. J'ai peut-être déjà une piste pour trouver du travail. J'ai choisi de venir en France parce que, dans mon pays, j'étais bénévole à la Croix-Rouge. Une année j'ai participé à l'organisation d'une fête pour le 14 juillet. J'ai travaillé avec des Français à cette occasion et j'ai beaucoup aimé leur culture, ils m'ont fait bonne impression. J'ai étudié au Royaume-Uni, je viens d'un pays de l'Est, mais c'est la France que j'ai choisie.