Je m'appelle U. Je suis d'origine turque. J'ai passé mon enfance dans une région proche de la Méditerranée jusqu'à mes 18 ans. C'est là que j'ai rencontré mon mari. Il est né également en Turquie mais a grandi en France. Puisque sa vie était ici, nous avons déménagé. J'étais très jeune. Ça a été un moment difficile pour moi. J'étais triste parce que je venais de quitter ma famille et j'avais peur de ce nouveau pays dont je ne connaissais pas la langue. Aujourd'hui, cela fait 26 ans que je suis arrivée en France. Depuis, j'ai eu trois garçons, ils sont grands à présent.
Les premières années ont été les plus difficiles. Je me souviens d'une fois où le téléphone a sonné. J'ai décroché. J'ai voulu répondre mais je n'ai pas réussi à trouver les mots. Paniquée, j'ai fondu en larmes. Le pire, c'est que la personne en face a raccroché sans même me dire un mot. Ça m'a fait mal au cœur.
J'ai suivi différents cours de français mais j'ai vraiment progressé depuis que je suis à la Vie Ensemble. Je parle mieux depuis environ 3 ans. Du moins je peux tenir une conversation. Le problème, c'est que j'étais mère au foyer et que je ne pratiquais pas suffisamment : à la maison ou avec mes amis, généralement, nous parlons turc.
Le plus difficile pour moi, c'est d'oser parler. En collectif, j'ai peur de prendre la parole, mais ça va mieux. Au début, quand j'allais acheter le pain, j'écoutais la façon dont le client devant moi posait la question et j'essayais de répéter la même chose. Maintenant j'y arrive et je ressens de la fierté à chaque fois que je réalise un petit progrès.
Je n'ai pas eu la nationalité française malgré mes demandes parce que je ne parle pas suffisamment bien. Il y a quelques années, j'ai passé une sorte d'examen de français à Nancy. Je l'ai préparé consciencieusement à la maison. J'ai beaucoup travaillé. Je me suis vraiment exercée. Mais le jour de l'examen, j'ai paniqué et je l'ai raté. Depuis, je n'ai jamais retenté. Je suis la seule de ma famille à ne pas avoir la nationalité française. Parfois ça me complique la vie pour les papiers, mais c'est comme ça…
Aujourd'hui, je pense que la chose la plus importante quand on arrive dans un nouveau pays, c'est d'apprendre la langue. Sinon, on ne peut rien faire. On est très dépendant des autres. On se sent nul, on a toujours besoin de demander de l'aide. Avant, j'avais besoin que l'on m'accompagne si je devais aller chez le médecin ou à la pharmacie. Il fallait me traduire la conversation. Je ne pouvais même pas prendre de rendez-vous pour mes enfants ! Mais à présent c'est à mon tour d'accompagner les autres. Je n'hésite pas à me proposer parce que je sais combien c'est dur de demander.
Pendant longtemps la Turquie m'a manquée. Mais aujourd'hui, je ne me vois plus retourner y vivre. Ça fait si longtemps que j'en suis partie. La Turquie c'est bien pour les vacances. Mais là-bas, même si je parle turc, je serai aussi une étrangère. Si je devais donner un conseil aux jeunes garçons, je leur dirai de ne pas se marier avec une turque pour lui demander de quitter son pays et venir en France. C'est trop difficile. Et puis ce n'est pas toujours facile de vivre ensemble quand on a deux cultures différentes. Maintenant que mes enfants sont grands, je vais pouvoir penser un peu à moi. Mon rêve à présent, serait de pouvoir avoir un travail pour sortir de chez moi et réussir à parler « comme une française ».